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J’ai gagné la guerre !
Je suis sourde depuis l'âge de 12 ans. Une hypoacousie bilatérale génétique de perception qui n'est pas curable. J'ai aujourd'hui 67 ans et j'ai porté depuis tout ce temps des prothèses auditives traditionnelles. Mon frère, sourd également, a été implanté en 2017. Les résultats ont été pour lui "instantanés et stupéfiants", selon ses termes. C'est lui qui m'a encouragée à sauter le pas. En 2024, j'ai été implantée de l'oreille gauche à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. L'activation a eu lieu le 20 juin.
Nous ne sommes pas tous égaux face à l'implantation, il faut le savoir. Quand je suis sortie de mon premier réglage, contrairement à mon frère, je ne savais pas quelle émotion exprimer. Déception, désespoir, colère, chagrin... Je ne percevais qu'un sifflement très lointain, perdu, quelque part dans mon conduit. Mon mari a eu alors une image bien jolie pour atténuer ma détresse : "C'est un petit oiseau qui est dans ton oreille, bientôt, tu comprendras tout ce qui te dira."
Il a fallu le troisième réglage pour que je commence à percevoir la voix humaine, qui n'avait d'ailleurs rien d'humain. C'était une suite de sons synthétiques, monocordes, quasiment inaudibles, que je devais tirer de mon cortex, comme on remonte les seaux d'un puits. J'y mettais toute ma force, toute ma volonté. Il n'était pas question que je reste dans ces limbes auditifs, informes, inutiles. Il me fallait me battre. Il me fallait m'adapter. C'est ce qu'on fait quand on ne peut plus changer les choses.
Début août, j'ai commencé ma rééducation orthophonique en vocal masqué. Le papillon, le pamplemousse, le perroquet. Puis, des mots de plus en plus courts, le balai, le vélo, la marée. Jusqu'aux mots voisins d'une seule syllabe, sans article. Ce sont les plus difficiles, car on ne peut pas faire appel à la suppléance mentale. Mou/nous, veau/faut, pain/bain... J'avais mon phare dans cet océan aveugle : mon orthophoniste. La petite Roxane m'a apporté le sourire dessiné sur le carton qui masquait son élocution, sa merveilleuse humanité et son professionnalisme exceptionnel. J'ai pu communiquer émotionnellement avec elle, j'ai ri, j'ai pleuré. Des paragraphes entiers à répéter en me concentrant à fond, en me servant de ma mémoire pour activer l'adaptation du cerveau, retrouver les modulations, faire circuler les phonèmes, les associer. Tout simplement, comprendre ce que j'entendais, redonner un sens à cet amalgame de mots. Et ces fameux exercices dans le bruit, car il faut bien progresser. Le méchant brouhaha de restaurant, dans lequel une femme à la voix pâteuse raconte sa séance de ciné, un homme nasalise sur ses vacances aux sports d'hiver ! Un an. Chaque séance a été une victoire. Et à chaque réglage, dans ce module en préfabriqué de l'unité implantation (qui mérite un tout autre bâtiment), un bond en avant. L'équipe de la Salpêtrière qui me suit est formidable.
J'ai une nouvelle prothèse sur l'oreille droite, compatible avec l'implant, grâce à mon audioprothésiste qui a su d'emblée m'équiper de façon optimale. Elle s'appelle Dorith, elle aussi travaille pour l'hôpital et c'est une petite fée. La combinaison stéréophonique des deux dispositifs fait de ma boîte crânienne une caisse de résonance acoustique quasi parfaite. La puissance de l'implant, le naturel de la prothèse.
J'ai gagné la guerre. Aujourd'hui, j'entends tout, je comprends tout. Je ne savais pas que le bruit des pas dans l'eau, au bord de la mer, ressemble aux arpèges d'une harpe. J'ai reconnu le grésillement des cigales, que je croyais perdu à jamais. Je découvre la tessiture de ma propre voix. Je m'amuse à parler toute seule, pour le plaisir de m'entendre, comme le font les petits enfants.
Quand on me disait que mon oreille, se serait mon implant, je refusais de le croire. Et pourtant... Le gain n'est pas seulement sensoriel, il est aussi psychologique. Ce petit robot ultra-miniaturisé implanté dans mon cerveau s'est aussi greffé sur mon âme, il est devenu moi. Je n'ai plus peur. Nulle part. Face à n'importe quel interlocuteur, proche ou inconnu, dans la rue, en voyage, dans le taxi, les commerces, les administrations. Partout où je vais, partout où je dois entendre pour communiquer.
Mon implant est proposé par le fabricant Cochlear. J'ai opté pour le système sans contour, avec un processeur extérieur, le Kanso 2. Sa coque est de couleur brun foncé, assortie à celle de mes courts cheveux châtains. Je n'avais pas trop le choix parmi les modèles. Mais dès le départ, j'ai voulu qu'on le voie.
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Pas question de le camoufler, comme il est d'usage pour les prothèses auditives que l'on souhaite "insoupçonnables"... Comme si le signe visible de la surdité était inesthétique, un handicap qu'il ne faut pas révéler, ... On parle aujourd'hui d'"homme augmenté" en évoquant les prouesses de la technologie médicale. Je suis donc une femme augmentée. Je veux qu'on le remarque. Trop longtemps, les choses sont restées dans le caché, voire le déni, freinant ainsi tout ce qu'il importe à la société de savoir sur la surdité, de la comprendre, l'accepter. Mon processeur fait partie de ce qui me définit aujourd'hui. Je suis fière de le porter, c'est pourquoi j'ai décidé de le décorer. Avec des gommettes fluo autocollantes, je compose sur la coque une petite fleur, ou une étoile. On les repère de loin. Je vois le regard des gens s'arrêter sur ce petit truc mignon. Je lis dans leurs yeux "Qu'est-ce que c'est ? Un bijou, une pince, un accessoire ? ". Non madame, c'est juste ma nouvelle oreille... |
Dany Mangion