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Double déficience sensorielle et bi-implantation cochléaire :

 Apports et limites

 

 

J’ai 65 ans, et j’ai été implanté cochléaire par le Pr Bruno FRACHET en 2006 (droite) et 2008 (gauche).

Mes processeurs d’implant cochléaire sont actuellement KANSO (Cochlear) à droite et NAIDA (Advanced Bionics) à gauche. J’entends un peu mieux les sons aigus à droite et un peu plus les sons graves à gauche, ce qui est agréable et pratique pour la musique.

Je suis atteint d’une maladie génétique (variante du syndrome de USHER de type 2), m’ayant rendu progressivement sourd et aveugle. J’ai actuellement une acuité visuelle tournant autour de 1/30 ; et un champ visuel réduit en quelques ilots (moins de 3°). J’ai toujours eu des problèmes d’équilibre, et ils n’ont rien à voir avec le fait que je sois angevin (je suis sobre avec l’alcool). Ces troubles ne se sont pas aggravés suite à mes implantations cochléaires, mais suite à la forte réduction du champ visuel.

Ma compagne est devenue sourde et est implantée cochléaire (un seul implant), sans avoir les mêmes bénéfices que moi, hélas pour elle, mais ce après 50 ans de surdité profonde…

 

Confinement lié au COVID19 et masque : je préfère utiliser des masques «maison» ou selon le cas des masques transparents. Je déteste les masques chirurgicaux. Ils tiennent mal. Ils sont compliqués à mettre et font facilement tomber le processeur NAIDA ; je n’ai pas ce problème avec le KANSO, qui n’est pas un contour d’oreille, et je ne suis pas chauve ! Quand je sors, je dois mettre systématiquement casquette et lunette de soleil (à grosses branches). Donc, cela complique la pose, le port et le retrait du masque chirurgical. Je mets d’abord le cordon gauche du masque sur le tour du pavillon d’oreille gauche, puis j’applique mes lunettes de soleil en veillant que cela soit bien posé. Ensuite, je mets le cordon droit sur l’oreille droite en le glissant sous la branche de lunette. Et seulement après, je pose le processeur Naida, puis la casquette qui maintient et stabilise l’antenne du dit processeur. Compliqué, mais nécessaire. Pour le retrait, je procède en sens inverse, mais en enlevant la casquette à la fin et en retirant le cordon droit en premier. Patience et méthode s’imposent…

 

Dans la chambre, nous avons deux sortes de réveil. Un petit de voyage (Shake Awake). Nous en sommes satisfaits. Je ne vois plus l’affichage digital sur l’écran. Je règle seul l’heure du réveil (en cas de changement), ce par mémorisation. Je ne me trompe pas, sauf si quelqu’un a changé avant moi ! L’autre réveil, plus gros (LISA), est couplé (nous le mettons rarement en fonction) à la sonnerie d’entrée et au détecteur de fumée. Quand le vibreur s’actionne, nous le sentons. Mais, je suis incapable de savoir à quoi cela correspond, ne voyant pas les couleurs des repères lumineux. Si je suis seul, je vais directement à la porte d’entrée regarder le visiophone (y a-t-il un écran blanc ?) et j’ouvre la porte en tendant ma main. Si personne, je vais dans la cuisine pour sentir si il y a du gaz ou de la fumée. J’y vais par déduction, me déplaçant relativement facilement dans l’appartement dans le noir (au grand désespoir de ma compagne perturbée dans le noir).

 

Sonnerie d’entrée (si j’ai mes processeurs !) : j’entends le bruit des flashs (sauf si je suis en train d’écouter la télévision), et le bruit de la sonnerie d’entrée. Je retire l’écouteur du visiophone pour savoir qui est en bas, et m’éloigne un peu du visiophone afin d’éviter les perturbations électromagnétiques.

 

Ascenseur : il est accessible. Boutons contrastés, annonces sonores du numéro d’étage avant ouverture de la porte.

 

Le portier électronique à l’entrée de notre immeuble. Très beau, digital, tout lisse, donc aucun repère visuel pour moi (et surtout pour un visiteur déficient visuel). Heureusement, les numéros d’appartements sont contrastés tactilement. Chose bizarre : quand la porte extérieure s’ouvre, une voix de synthèse vous dit « Vous pouvez entrer », mais silence dans le sens de la sortie (pas de « Vous pouvez sortir » !).  

 

Ecoute de la télévision : Ma compagne suit via le sous-titrage que j’ai beaucoup utilisé dans le passé (jusqu’en 2003). J’utilisais un collier magnétique avec récepteur infra-rouge.

   Maintenant, le récepteur de mon nouveau collier magnétique, est à onde radio. C’est plus pratique, je peux écouter en allant dans une autre pièce…. Selon la qualité de la prise de son à l’origine, je comprends relativement bien, parfois plus difficilement.

Quand le film est annoncé aussi « audiodécrit » j’active la touche, sans perturber le sous-titrage. C’est très bénéfique pour ma compréhension. Je hurle contre la tendance du « multilingue » n’intégrant pas l’audiodescription. Et que dire de ces reportages ou documentaires avec des interviews en langue étrangère ? Certes, c’est sous-titré (VOST) pour le public entendant, mais le sourd-aveugle, ne pouvant lire ces sous-titres, il est ainsi humilié, traité comme un citoyen de seconde zone. Vous activez l’audiodescription, cela ne change rien, car rien n’est prévu ! Il serait tout à fait possible, en sus du sous-titrage en français, de prévoir un doublage sonore en français…

 

Chansons, musique. Je déteste rock et musique hard, car agressive. J’aime le classique, le jazz, certaines variétés (à condition d’avoir des chanteurs à voix, et que le « batteur » n’assassine pas l’ambiance sonore).

Je déplore parfois dans les films certaines dérives. Les voix extrêmement basses (même des entendants ont du mal à les comprendre). Aussi, ces musiques qui montent, montent à nouveau, s’arrêtent brutalement suivies immédiatement de paroles. Inévitablement, il y a un temps de latence vous faisant perdre le début de la suite des paroles.

Je ne suis plus les débats politiques pour plusieurs raisons. Ils se coupent sans arrêt la parole, rendant la compréhension impossible. Et c’est tellement insipide, et démago.

 

Téléphone : J’ai un fixe sans boucle magnétique (bien qu’annoncé compatible aux malentendants car ayant un haut-parleur !). Ceci dit, grâce à mes implants j’apprécie le haut-parleur. Il m’arrive d’écouter sans le haut-parleur. Bien sûr, je suis en difficulté si mon correspondant parle trop vite, ou a une voix difficile (pour moi) : rocailleuse, très grave, ou très nasillarde. Je n’ai pas de téléphone portable, ma compagne en a un. Je ne pourrais pas l’utiliser avec son écran tout lisse, faussement tactile. Par contre, si je dois téléphoner avec (ma compagne ayant composé le numéro), j’y arrive avec le haut-parleur. Évidemment, dans ce cas (téléphone fixe ou portable), j’évite les environnements bruyants.

 

Ordinateur :  C’est génial ou horrible. C’est capricieux comme toutes les machines, et je le gronde quand il ne veut pas fonctionner comme il le faut (cela arrive, hélas). J’utilise un clavier agrandi, noir avec lettres et repères blancs, sans intérêt maintenant, mais qui m’a beaucoup aidé il y a plus de dix ans. Il y a deux repères tactiles naturels (f et j). J’ai posé des petites boules autocollantes sur d’autres repères (a, y, p, w, v, n). Cela me permet de mieux repérer tactilement les touches et ne pas appuyer là où il ne faut pas (exemple : le p est à gauche de « accent circonflexe », le a est à droite de la touche « page précédente »).  Sauf exception, je n’utilise plus la souris (comme vous avant 1990). Tout doit se faire avec l’aide de raccourcis claviers. Je suis loin de tous les connaitre. Exemples : tout sélectionner = ALT + A ; enregistrer = ALT + E…

Il y a quelques années, j’utilisais le logiciel ZOOM TEXT qui agrandissait (pour moi ce fut jusqu’à 6 fois), puis ce fut ce même logiciel avec en sus une synthèse vocale. Il m’a été proposé plusieurs types de voix, j’ai fini par choisir une voix féminine (parmi d’autres). Maintenant, ZOOM TEXT n’a plus d’utilité.

J’utilise un autre logiciel JAWS, très utilisé par les aveugles. La synthèse m’aide beaucoup, mais a ses limites. Elle ne me renseigne pas sur la couleur utilisée ici ou là ; je ne sais pas si c’est en italique parfois. Bon nombre de PDF sont illisibles par la synthèse.       

Et ici, j’en profite pour remercier la présidente de l’ANIC qui, sur ma demande, m’envoie le bulletin semestriel en fichiers Word que je peux écouter aisément. A quand, la même possibilité pour lire la revue trimestrielle du Bucodes SurdiFrance ? Actuellement, je suis dépendant de ma compagne, qui malgré sa bonne volonté, n’a pas que cela à faire. Et quand on réclame l’autonomie par plus d’accessibilité pour les malentendants et les sourds (qui sont oralistes), il convient de penser à l’accessibilité au bénéfice des adhérents doublement handicapés sensoriels, plus nombreux que l’on imagine.     

Je lis mes mails, je les rédige, comme je rédige ce témoignage avec l’aide de ma synthèse.  Celle-ci me permet parfois de relire quand j’ai un doute, pour corriger. Ce serait trop long pour expliquer toutes les possibilités, que je ne connais pas toutes d’ailleurs. L’accès à Internet est très difficile, car l’immense majorité des sites ne sont pas accessibles, voire très peu …

Avec l’ordinateur, j’ai participé à plusieurs webinaires (le premier fut celui du départ en retraite du Pr FRACHET). Je participe aussi à des visioconférences via ZOOM, même si je ne vois pas les personnes (quel dommage de ne pas apprécier le charme de nos interlocutrices !) et ce, selon une procédure d’entrée et d’utilisation avec des raccourcis claviers : pour ouvrir la caméra, pour demander la parole (et abaisser le doigt levé), pour prendre et redonner la parole, puis pour si besoin faire pause et arrêter au final.

 

Lecture : toutes les semaines, je reçois la lettre de la BNFA (Bibliothèque Numérique Francophone Audio). Elle propose une liste importante de livres selon des catégories (romans, récit, nouvelles, aventures, policiers, thrillers, jeunesse...). Je sélectionne mes choix. Puis ma compagne les télécharge en fichier compressé sur ordinateur. Et de temps en temps, elle m’en met une douzaine dans une clé USB.

       

Je place cette clé sur un appareil spécifique (Victor Reader Stratus) et en choisissant le livre voulu, j’écoute ce livre, j’arrête quand je veux, reviens en arrière si besoin. Je peux moduler volume, tonalité et vitesse de lecture. Il y a plusieurs formats proposés tous selon un modèle DAISY : voix humaine, voix de synthèse, texte (pour le braille), PDF. Je préfère la voix de synthèse, plus adaptée à mon audition, plus agréable, même si elle ne respecte pas la ponctuation (on s’y habitue). La voix humaine, j’évite, sauf si je n’ai pas le choix. Les voix sont souvent, pour moi, désagréables. Je me souviens d’avoir lu un très bon livre, mais avoir été agacé tout le long par cette voix horripilante.

Mon audition non naturelle me rend donc difficile sur la qualité sonore et je repère facilement les mauvaises qualités dans la prise du son ou et le mixage.

 

 Je lis avec le Victor, des CD audio que je reçois (celui du journal mensuel de la Ville d’Angers, la revue de RETINA FRANCE… C’est plus rapide, plus aisé et moins fatiguant que les dernières années où je lisais par le visuel.

 

Cinéma : avant les confinements, il nous arrivait parfois d’aller au cinéma pour des séances de films français accessibles (sous-titrés et audiodécrits). Si le sous-titrage était globalement satisfaisant, ce n’était pas toujours le cas pour moi. Parfois, la prise du son (et le mixage) était médiocre, rendant la compréhension plus difficile. Aussi, l’audiodescription était parfois imparfaite (voix peu agréable, ou trop faible en rapport des dialogues du film...). Il faut dire que j’utilise un collier magnétique pour recevoir l’audiodescription sur une oreille, et j’écoute les dialogues du film via l’autre oreille (sans le collier magnétique pour celle-ci). C’est assez fatiguant comme système. Le meilleur souvenir est le film « Les gardiennes ». Je ne voyais rien. Mais j’ai parfaitement suivi et tout compris.

 

Dans les bus et trams à Angers, en sus du bandeau de défilement des annonces du prochain arrêt, il y a une annonce sonore en ce même sens. Mais parfois, cette annonce est désactivée, ou amoindrie. Il y a quelques années, j’ai reçu sur mon ordinateur (par mail) les fichiers de plus de 500 annonces sonores de stations. Je les ai progressivement toutes passées en revue. Puis j’ai noté la satisfaction, les améliorations et conseils. J’ai insisté sur la qualité de la prise de la parole au sens phonétique non littéraire, en expliquant les pièges liés aux invisibles, les sosies sonores (les mêmes qu’en lecture labiale). Il y a quelques améliorations.

 

TGV : contrairement à autrefois, j’entends bien les annonces dans les rames. C’est plus difficile dans les gares (Montparnasse étant actuellement une horreur surtout avec tous les travaux). Durant les voyages, si ma compagne me guide, me place bien, veille à ma sécurité, je lui donne les infos pratiques essentielles et lui répète des informations touristiques.

 

En famille, lors des repas de famille, je suis beaucoup plus à l’aise qu’autrefois, et que ma compagne. Merci les implants…

En cette saison, j’apprécie les concerts de gazouillis d’oiseaux, moins les tondeuses ou autres engins de bricoleurs ou de travaux.

 

Dehors, si je suis seul, j’utilise ma canne blanche. Elle me signale comme déficient visuel, et me protège, et m’aide à me déplacer. J’ai appris à analyser les traversées de rues et de carrefours. L’auditif est crucial sans être infaillible. Règle d’or : mieux vaut arriver en retard mais vivant, j’ajoute « mieux vaut arriver tout trempé mais vivant ». D’où bien analyser, être patient, bien écouter le moindre bruit.

    J’ai une télécommande pour déclencher les feux sonores (quand il y en a !). Le « rouge piéton » me signifie de ne pas traverser. La ritournelle indique la possibilité de passer ; mais mieux vaut attendre si on arrive en cours ne sachant pas le temps restant. Ceci dit, quand il y a des rafales de vent, le son va dans tous les sens et là on est perdu, d’où reprendre l’analyse du carrefour et des priorités des sens de traversées. Et que dire des voitures et vélos mal placés, qui nous gênent, et perturbent notre sens d’orientation. Ma hantise est les cyclistes grillant le feu que nous n’entendons pas arriver.

Dehors, je mets systématiquement mes processeurs en programme bruit, sinon c’est trop agressif et j’analyse moins bien l’environnement. Remarque : contrairement à un aveugle de naissance, je n’arrive pas à me guider dans une rue en écoutant les différents échos.

 

Les processeurs et implants sont des bijoux merveilleux qui ont leurs limites. Ici comme dans d’autres domaines, ne pas confondre « espoir » et « rêves ».

Je regrette que le magicien Bruno FRACHET n’ait pas pu me mettre une antenne parabolique, avec caméra infra-rouge et à vision de nuit, scanner de l’environnement et écouteurs haute définition avec bon filtrage…Quel dommage !!!

Les processeurs ont des filtres ou des protège-microphones à changer régulièrement. Il faut avoir de très bons yeux pour le faire, un bon doigté et de la patience. C’est ma compagne qui s’en charge, et me dit à ce moment-là : « va ailleurs, je veux être tranquille ! ».

Les télécommandes des processeurs, je ne m’en sers plus du tout. Trop lent, trop compliqué, pas assez tactile (dans le vrai sens du terme). Je veux des télécommandes simples, centrées sur l’essentiel et non remplies de fonctions gadgets. Cette télécommande ne doit pas être rechargeable mais avec une batterie de durée de vie de 10 à 15 ans ; c’est possible. Un bouton pour choisir les programmes, un autre (ou curseur) pour faire varier la tonalité, un autre pour le volume. La boucle magnétique doit être à part des programmes et 100% et non mixte (cette possibilité devenant une option et non le standard). Plus besoin d’écran, prenant trop de place pour pas grand-chose.

J’ai globalement une bonne récupération auditive suite à mes implantations cochléaires, de bonnes possibilités malgré les inévitables limites. Ceci est venu suite à l’excellent travail de l’équipe du Pr FRACHET, mais aussi à celui de mon orthophoniste local. Et j’ai dû fournir beaucoup d’efforts, de travail (parfois trop vite à faire arracher les cheveux de ma « régleuse » de l’époque).

 

Depuis quelques mois, avec des associations du secteur de la surdicécité, et avec le soutien et les conseils du CRESAM de Poitiers (Centre National de Ressources pour Personnes Sourdes Aveugles et Malvoyantes), nous agissons auprès des décideurs politiques et administratifs « Pour une reconnaissance officielle de la surdicécité et une bonne prise en compte des personnes sourdaveugles ». Actuellement, auprès des MDPH, nous sommes contraints de choisir entre surdité et cécité, pas les deux !

Le 27 juin prochain, nous participerons à la « Journée Internationale de la Surdicécité ».  

 

Je ne parle jamais de la « malentendance », ni de la « malvoyance » qui n’existent pas. C’est une invention de personnes faisant dans le déni. Je parle de surdité, de cécité, de surdicécité. Je privilégie « l’espoir raisonnable » aux « rêves des lendemains qui déchantent ».

 

Angers, le 21-05-2021

 

Vincent JAUNAY

Devenu sourdaveugle, bi implanté cochléaire